
Le céramiste Carles Llarch et une de ses amphores
L’amphore, avec sa forme caractéristique et son fond pointu, était historiquement conçue pour transporter du vin, de l'huile et d'autres denrées alimentaires. Sa forme permettait de les poser en quinconce dans les cales des bateaux, les empêchant ainsi de bouger durant le voyage. Lorsqu’il s’agit d’un contenant utilisé pour l’élevage de vins, à fond plat, on parle alors de jarre. Cela étant dit, certains vignerons élèvent bien leurs vins dans de véritables amphores, en adoptant des formes spécifiques adaptées à cette pratique, montrant ainsi la diversité des contenants en terre cuite. L’une des particularités des amphores et des jarres utilisées pour l’élevage réside dans leur forme ovoïde. Cette forme favorise une circulation naturelle du vin, permettant un mouvement constant et homogène qui contribue à une meilleure intégration des composés du vin.
Les jarres en terre cuite ont fait leur apparition il y a plus de 6000 ans, notamment en Géorgie, berceau de la viticulture où ces contenants sont appelés "kvevris". Entièrement enterrés, parfois au milieu des vignes, pour garantir une température constante, les kvevris jouent un rôle essentiel dans la fermentation et l’élevage des vins traditionnels géorgiens, souvent produits avec macération pelliculaire pour donner naissance à des vins ambrés uniques. Leur usage s’est étendu à tout le bassin méditerranéen, avant d’être peu à peu remplacés par des fûts de bois et des cuves en métal. À l’époque romaine, les jarres utilisées pour l’élevage étaient appelées "dolias". Aujourd’hui, leur utilisation revient sur le devant de la scène, portée par des vignerons soucieux de se rapprocher des méthodes naturelles et de valoriser leur terroir.
La particularité de ces contenants réside dans leur composition : la terre cuite. Il s'agit d'un matériau poreux permettant une micro-oxygénation du vin, comme le bois, mais sans en imposer le goût. Cette neutralité est un atout majeur pour les vins naturels car elle permet de préserver l’expression pure du cépage. La taille de l'amphore influe sur l'effet de la micro-oxygénation, plus elle est grande, plus le rapport surface/volume est faible, ce qui limite l’exposition à l’oxygène. La vitrification permet de limiter ou d’éliminer la micro-oxygénation des amphores. Elle peut être réalisée de plusieurs manières : émaillage, cuisson à haute température, application de cire ou de résine, ou encore polissage manuel avec de la cendre ou des oxydes métalliques.
Autre atout, la terre cuite offre une excellente inertie thermique, idéale pour maintenir une température stable durant la fermentation. Enfin, la forme ovoïde favorise une clarification naturelle, réduisant le besoin d’interventions externes. Chaque pièce est unique, façonnée à la main, avec des argiles soigneusement sélectionnées. Le processus de fabrication est long et exigeant : modelage, séchage, cuisson… Mais c’est cette précision artisanale qui garantit leur qualité et leur durabilité. On en fabrique de toutes formes, plus ou moins ovoïdes, ce qui influe également sur le goût du vin. La qualité et le travail de l'argile avant la cuisson et la température de cuisson permettent de définir avec précision le niveau de micro-oxygénation. Par exemple, les amphores du Pays Valencien sont réputées pour être plus denses, donc moins poreuses, que les italiennes ou les géorgiennes.
De nombreux vignerons naturels ont adopté la terre cuite, convaincus qu'elle sublime leurs vins. Les cuvées élevées en amphore se distinguent souvent par leur pureté aromatique et leur texture soyeuse. Ces vins sont le reflet d’une philosophie : celle du respect du raisin, du terroir et du temps. Le retour de l'amphore est bien plus qu’un effet de mode : c’est une volonté de renouer avec des pratiques anciennes tout en innovant avec la maîtrise toujours plus fine du processus de fabrication.. Elles incarnent un équilibre entre tradition et modernité, parfaitement aligné avec les valeurs du vin naturel.
Depuis Pego, Marina Alta, une région riche d’une histoire viticole ancestrale, j’aimerais terminer en évoquant le Museu de la Mar à Dénia. Cet ancien port romain abrite une magnifique collection d’amphores, témoins de leur rôle essentiel dans le commerce antique, qu’il s’agisse de vin, d’huile d’olive ou encore de garum, une sauce de poisson emblématique de la cuisine romaine. Une visite incontournable pour les passionnés d’histoire et de culture méditerranéenne.